Les couleurs de la liberté

Gilbert Lupfer, artiste multiforme, a créé au milieu de la campagne mosellane, à Saint-Epvre, un atelier-galerie, dans une ancienne menuiserie qu’il a mis quatre ans à retaper. Il y suit un chemin solitaire, passant par tous les styles sans s’arrêter à aucun. On ne s’attend pas à trouver à Saint-Epvre un atelier d’artiste. Et encore moins, en poussant la porte de celui de Gilbert Lupfer, à voir les couleurs éclater partout, du plancher bariolé aux fresques peintes sur l’envers du toit. Ce peintre aime la couleur. C’est le point commun de ses œuvres aux styles variés : figuratif, cubisme, fantastique ou abstrait. Sculpteur aussi, il travaille la terre cuite, le bois, le cuir. Designer, il conçoit des meubles aux courbes inattendues.

L’homme a vécu autant de vies que l’artiste a de modes d’expression. L’Alsace et l’Allemagne l’ont vu s’activer, la Hongrie aussi, et Thionville en même temps ! On se demande comment les murs du 17, rue Saint-Paulin à Saint-Epvre, arrivent à contenir ce geyser d’énergie… Quelle biographie que celle de cet Alsacien d’origine ! Difficile à cerner. Une anecdote en donne peut-être la clé : « Enfant, j’aimais dessiner, on m’appelait l’artiste. A 14 ans, je voulais être peintre. On m’a dit OK, on m’a fait signer un contrat. Quand je suis arrivé sur le chantier, j’ai compris que c’était peintre en bâtiment… » Ce malentendu aurait pu s’avérer désastreux, il a été au contraire source d’enrichissement. Gilbert Lupfer a tiré parti de ses va-et-vient entre peintre-artiste et artiste-peintre. « A l’école du bâtiment, j’ai beaucoup appris : comment préparer les couleurs, comment rénover les peintures anciennes… Au début, j’avais honte d’être passé par là. Maintenant, j’en suis fier ! » Tandis que ses collègues étalaient la peinture au rouleau, lui couvrait les murs d’immenses fresques… Il a aussi fréquenté, en candidat libre après sa journée de travail, les Beaux-Arts de Strasbourg dans les années 60.

On te dit « Attends »

Première rupture au milieu des années 70 : « J’ai voulu devenir artiste. Je voulais prouver que moi aussi j’étais capable de vivre de ma peinture. » Il s’essaie au paysage, au cubisme, au surréalisme, avant de suivre à Thionville son épouse enseignante. Expositions, lancement de l’Association des Artistes Libres… Invité en Hongrie en 1987, il croit y voir sa terre d’élection : « Les plaines vides que je dessinais, je les ai trouvées en Hongrie. » Pendant sept ans, il multiplie là-bas les expositions, décore une discothèque, un restaurant, essaie de monter une entreprise. Puis se décourage, miné par la mentalité héritée au systême socialiste : « Sont pas pressés, les Hongrois. Tu demandes quelque chose, on te dit Varia, « Attends »… Le temps que mes employés se décident à venir travailler, j’avais tout fait tout seul ! » Ecœuré, il met fin à l’expérience en 1993, « du jour au lendemain ».

Entre-temps, il a acheté à Saint-Epvre une quasi-ruine. « J’ai décidé d’en faire mon atelier en même temps qu’un lieu d’exposition. Mais je n’avais pas d’argent… » Il retourne alors dans le bâtiment, se fait embaucher par une entreprise de Stuttgart. Dures années, où il est sur tous les fronts : il gagne sa vie le jour, retape sa ruine le soir, trouve encore le temps de peindre et d’exposer, sans renoncer aux cours de peinture qu’il donne à Thionville.

En 2000, l’atelier GL s’ouvre au public. Depuis, chaque année en mai, le maître de céans y présente une nouvelle expo. Une année, de grands personnages colorés, une autre, des figurines en terre cuite, une troisième, d’étranges animaux… « et j’arrive à déplacer chaque fois 200 personnes, sans pub, à part un courrier à ceux qui me connaissent ! » Tel est Lupfer, traçant son chemin tout seul, à l’écart des modes et des galeristes. « Je ne suis pas sauvage, mais je ne supporte pas qu’on me dise ce que je dois faire. Je ne veux pas non plus qu’on spécule sur mes œuvres. Ce qui m’importe, c’est peindre à mon idée, du mieux que je peux, et que ma peinture serve à la société. » Dans cet esprit, il a exposé en août des acryliques et des sculptures dans la Maison de Claude Gellée, à Chamagne (Vosges). L’an prochain, sans doute partira-t-il explorer d’autres pistes, librement, comme il a toujours fait.

par Richard SOURGNES
Paru le : 9 octobre 2005 (Magazine / 7hebdo)